Mamadou Kiari Liman-Tinguiri : « sortir de l’impasse au Niger »

TRIBUNE. Deux ans après le putsch qui a renversé le président élu Mohamed Bazoum, un ancien ambassadeur à Washington alerte sur le chaos politique, sécuritaire et économique qui menace d’emporter le Niger.

Le 26 juillet 2023, le président nigérien Mohamed Bazoum, démocratiquement élu, était renversé par un coup d'État militaire précipitant le pays dans une crise politique sans précédent. Deux ans plus tard, son épouse Hadiza et lui restent détenus, privés de liberté et coupés du monde, tandis que la junte au pouvoir, de plus en plus contestée, s'enfonce dans l'isolement et l'impopularité. Ce calvaire personnel incarne l'échec cuisant de l'alternance démocratique au Niger, et la trahison d'un système politique qui promettait pourtant le changement. Dans cette tribune, Mamadou Kiari Liman-Tinguiri, ancien ambassadeur du Niger à Washington et universitaire, décrypte les impasses du régime militaire, démonte ses faux-semblants de légitimité et esquisse des pistes pour sortir de l'ornière politique.

Depuis deux ans, le Niger est dirigé par une junte militaire qui a renversé le président élu Mohamed Bazoum. Le pouvoir militaire, totalement indifférent aux problèmes des populations, cherche à se maintenir en organisant des mascarades de consultation populaire : « assises nationales », « conseil consultatif de la refondation »… Ces simulacres de légitimation ne sont que des jeux de miroirs : la junte désigne ses interlocuteurs, qui lui renvoient grade, mandat et titre. En retour, elle les récompense par des fonctions et des gratifications. Cette méthode s'inspire du Mali, où les militaires au pouvoir se sont alliés à ceux du Niger et du Burkina Faso au sein de l'Alliance des États du Sahel (AES) pour quitter ensemble la Cedeao, coupable d'exiger un retour à la démocratie.

Le mythe de la souveraineté contre la France

Pour séduire les jeunes, la junte alimente une paranoïa grossière : tous nos malheurs viendraient de la France, ancienne puissance coloniale supposée décadente et omnipotente, dépendante de nos ressources et obsédée par notre déstabilisation. Elle dominerait nos voisins, le Nigeria et le Bénin, mais serait impuissante face à la junte, dont le chef se présente comme omniscient.

Quelques chiffres suffisent à relativiser ce discours : le PIB du Niger représente à peine 0,61 % de celui de la France, et celui combiné des trois États de l'AES atteint à peine 2 % de celui de la France. L'idée que la France organiserait sa politique étrangère autour du Niger ou de la région relève du fantasme.

Une souveraineté vidée de son sens

Quant à la souveraineté, mantra favori des putschistes du Sahel, elle devient une coquille vide si l'État n'assure plus la sécurité des citoyens. C'est exactement le cas aujourd'hui au pays : les djihadistes du JNIM et de l'EIGS imposent leur loi, lèvent même l'impôt, notamment dans la région de Tillabéri. Les forces de défense et de sécurité (FDS) sont sous-équipées et mal encadrées pour protéger efficacement la population. Selon l'Acled, juin 2025 a été le mois le plus meurtrier depuis mars 2021. La situation sécuritaire s'est nettement dégradée par rapport à l'époque du président Bazoum.

Mutineries et désarroi social

La récente multiplication des mutineries dans plusieurs casernes (Termit, Filingué, Téra) confirme la perte de contrôle du gouvernement sur son propre appareil sécuritaire. À cela s'ajoute un taux de pauvreté extrême de 45,3 % en 2024, selon la Banque mondiale (seuil de 2,15 dollars par jour). La priorité des Nigériens n'est donc ni la souveraineté ni la France, mais bien la sécurité et le bien-être.

Une économie en chute libre

Sur le plan économique, les finances publiques sont exsangues. Les levées de fonds par endettement échouent même à des taux élevés sur le marché régional. Les agences de notation continuent d'afficher un risque élevé persistant. L'État est désormais incapable de financer la moindre politique publique. Les impayés de la dette intérieure étouffent les opérateurs économiques encore actifs.

Le sabotage répété du pipeline pétrolier compromet les exportations de brut, assurées par une entreprise chinoise qui, pour avoir cessé de préfinancer le gouvernement – en raison d'un défaut de paiement d'une dette toxique antérieure –, est désormais perçue comme une ennemie du régime. Les nationalisations récentes – hôtel d'un investisseur chinois, la société minière Somaïr (détenue à 66 % par l'entreprise française Orano) et même la Nigelec (monopole public de l'électricité) – envoient un signal désastreux aux investisseurs étrangers. Le message est clair : spoliation possible à tout moment.

Décolonialisme : outil d'émancipation ou écran de fumée ?

Sur la scène internationale, la brutalité des rapports de force n'a jamais été aussi manifeste depuis la fin de la guerre froide. Les règles sont simples : la puissance l'emporte sans nuance sur le droit. Or celle-ci repose sur la combinaison de la richesse économique, de la capacité militaire, du poids financier mondial et de l'avance scientifique et technologique. Sur aucune de ces dimensions, le Niger n'est en position de force. Quelle rationalité y a-t-il à nous isoler de tous nos partenaires ?

À ceux qui se réclament du décolonialisme, je précise que mon propos n'est pas de nier les relations asymétriques, les échanges inégaux, ni le poids de l'histoire qui peut piéger un pays dans un sentier de stagnation. Mais la complainte n'a jamais été une stratégie de transformation d'un pays. Au lieu de « refonder » la République sur des chimères, saisissons cette situation comme un « moment critique » pour transformer nos institutions économiques, bâtir un État efficace et rétablir une gouvernance démocratique robuste. C'est la seule voie pour espérer entamer un rattrapage économique du reste du monde, dont nous décrochons manifestement.

Le Niger est aujourd'hui au bord de l'implosion et le général Tiani lui-même en a conscience puisqu'il a récemment sollicité l'aide d'anciens dirigeants pour sortir de l'impasse. Voici une voie possible en trois étapes :

1. libérer immédiatement et sans condition le président Mohamed Bazoum et tous les prisonniers politiques, réhabiliter les exilés et rétablir les libertés d'expression et d'association ;

2. reconnaître l'échec du régime militaire et acter son départ, comme le fit le général Ali Saibou il y a 35 ans ; 

3. organiser une « convention nationale » réunissant sur invitation d'anciens dirigeants du pays, un nombre limité de personnalités reconnues pour leur expérience pertinente ou leur expertise avérée. Chaque participant y présentera un diagnostic public et des propositions, et contribuera bénévolement au contenu et au calendrier d'un retour à un ordre légitime. D'autres scénarios sont possibles, y compris celui de coups d'État en chaîne, comme au Burkina Faso, dont la probabilité augmente avec la persistance de l'impasse. Mais plus tôt prévaudra la raison, mieux ce sera pour l'avenir de notre nation.

* Mamadou Kiari Liman-Tinguiri est universitaire. Il a été ambassadeur du Niger à Washington (2021-2023). Il enseigne actuellement l'économie politique du développement à l'université de Caroline du Nord, à Chapel Hill.

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